“Shojo Tsubaki”, une monstrueuse parade
Le chef d'œuvre d'horreur du maître du manga underground Suehiro Maruo célèbre la fascination historique pour le genre érotico-grotesque.
© Suehiro Maruo / Seirinkogeisha
L’indicible violence sexuelle présente dans Shojo Tsubaki (1984, La jeune fille aux camélias en français) de Suehiro Maruo amène le lecteur à s’interroger sur le bien-fondé de l’autorisation de diffusion de cette littérature. Pourtant, les mésaventures de l’orpheline Midori — sortie de la rue pour tomber prisonnière des abus d’une troupe de cirque malsaine —, sont illustrées par une esthétique classique si envoutante qu’il est difficile de s’en détourner.
Le roman graphique, publié en 1984 par le légendaire auteur de manga underground, prend des airs de théâtre de rue kamishibai du début de l’ère Showa, en associant de la magie noire et de l’hédonisme nihiliste à des récits de souffrances. D’exceptionnelles séquences — d’hallucinations désespérées, de membres déformés et grouillant d’insectes —, rappellent l’atmosphère tourmentée de la décennie d’avant-guerre au Japon. Aujourd’hui, il associe les tendances les plus subversives du manga contemporain à des traditions plus anciennes qui ont permis de réconcilier la violence et une étrange beauté.
Curiosité morbide
L’artiste manga et peintre Suehiro Maruo commence sa carrière à 20 ans avec Ribon no Kishi, un récit d’horreur dont le titre est inspiré d’une œuvre de son prédécesseur et idole, Osamu Tezuka. Son obstination l’a amené à être reconnu pour son œuvre au sein du magazine d’avant-garde Garo, et pour ses adaptations de nombreuses histoires d’horreur d’Edogawa Ranpo (un jeu de mots à partir de Edgar Allan Poe) comme L’Île Panorama (2010 en France chez Casterman) ou La Chenille (2010 en France chez le Lézard Noir).
De par son style fleuri et son audace — au regard des sujets abordés—, le travail de Suehiro Maruo peut être comparé à celui des derniers grands maîtres de l’ukiyo-e. Pourtant, les histoires présentées se déroulent dans le Japon des années 1920, lorsque le phénomène littéraire clandestin “Ero Guro Nonsense” fascinait le public, que son style érotique et grotesque rencontrait la modernité japonaise. L’Ero Guro était alors une étrange tendance bourgeoise, décadente, qui adoptait la violence graphique d’un certain courant de l’ukiyo-e, appelé muzan-e. L’objet était de réfléchir aux dérives du Japon d’avant-guerre. Ainsi, avec Tsukioka Yoshitoshi en particulier, les thèmes du bondage, de la déformation et de la décapitation sont traités à la manière des maîtres traditionnels qui ont influencé le style de Suehiro Maruo. Mais dans la version contemporaine de l’Ero Guro, le gore moderne d’œuvres telles que Shojo Tsubaki amène l’horreur à servir de base à une analyse sociale.
Fantasmes interdits
Le célèbre cas de Midori — adaptation cinématographique de Shojo Tsubaki réalisée en 1992 —, fait écho au sort des textes Ero-Guro contraints à la clandestinité. Malgré son intérêt culturel, avec une cinématographie honorant le kamishibai et une bande-son excentrique de J.A. Ceazer, son contenu extrême a conduit à son interdiction immédiate. Heureusement, la réputation de Suehiro Maruo a finalement permis une réédition en DVD en dehors du Japon, ainsi que quelques projections, le sortant de l’ombre. Alors que le roman original, épuisé, est désormais très recherché, Shojo Tsubaki fait aujourd’hui figure de classique des récits d’horreur japonais.
La version française du manga Shojo Tsubaki – baptisée La jeune fille aux camélias – est éditée par les éditions IMHO. Le film Midori, a été réédité en français en 2006 par Cine Malta et est disponible en DVD.
© Suehiro Maruo / Seirinkogeisha
© Suehiro Maruo / Seirinkogeisha
© Suehiro Maruo / Seirinkogeisha
© Suehiro Maruo / Seirinkogeisha
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