“Dans les eaux profondes”, un essai qui mêle intime et politique

Akira Mizubayashi décrypte dans son ouvrage le rituel du bain japonais, ciment d'une société dont il critique les nombreux travers.

08.02.2021

TexteClémence Leleu

Dans les eaux profondes débute par un saut dans le passé. Retour en 1983, lorsque Akira Mizubayashi, alors âgé de 32 ans et élève à l’École normale supérieure, signe un article intitulé “Dans le bain japonais” dans le numéro spécial Japon de la revue Critique

C’est par la reprise de cet article que l’auteur, dont le quotidien oscille désormais entre sa profession d’écrivain et celle de professeur de français, initie son ouvrage. Il y détaille par le menu le bain et ses rituels, presque élevés au rang d’art dans l’archipel nippon. Cet espace hybride, ni tout à fait public ni tout à fait privé, dans lequel on se prélasse autant chez soi que dans les bains publics, les sento.

 

Un lieu clé du lien social

Un moment de repos mais aussi de partage, avec sa famille, ses amis, voisins ou encore collègues. Où les discussions vont bon train, l’auteur comparant la fonction des sento nippons à celle des cafés en France. Les souvenirs affluent et démontrent en filigrane l’importance de ces moments partagés à moitié immergé, marquant aussi les grandes étapes de l’existence : son premier bain avec sa fille, qui vient à peine de naître, ou celui avec son père, qui succombera une semaine plus tard. 

Akira Mizubayashi étaye ses propos par de nombreux exemples empruntés tant au cinéma d’Ozu qu’à celui de Clint Eastwood, n’hésitant pas non plus à convoquer Rousseau et son contrat social, pour appuyer la fonction communautaire des bains. 

Mais après la baignade et ses délices, Akira Mizubayashi plonge dans des eaux plus troubles, plus profondes, métaphore d’une société japonaise qui, comme elle sacrifie ses bains publics menacés aujourd’hui de disparition, sacrifie également ses institutions. L’auteur d’un guide thermal se transforme alors en militant, et égratigne la politique du gouvernement japonais, notamment depuis la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011. De l’intime au politique, il n’y a qu’un pas. 

 

Dans les eaux profondes (2018), un essai de Akira Mizubayashi, publié aux éditions Arléa

© Arlea