Hokkaido : l’automne en pente douce
L’île septentrionale de l’archipel japonais mérite le voyage, pour ses paysages verdoyants mais aussi pour sa scène culinaire durable moins connue. Elle est le fruit du travail de passionnés, soucieux de respecter leur terroir. Vins naturels, permaculture, gastronomie inspirée de produits endémiques de l’île : Sapporo et ses environs promettent de belles découvertes gustatives, en harmonie avec la nature.
Permaculture et vin mystique dans la baie de Yoichi
Depuis Sapporo, il faut emprunter une route en lacets en direction de la mer. Sur le bas-côté, les arbres flamboient, jaune d’or, contrastant avec les montagnes bleues qui s’ouvrent sur le rivage. On approche de la ville de Yoichi, étendue sur la baie. Des airs d’Ouest canadien, avec ses rues perpendiculaires et ses chalets en bois. Celui de Junka Sakamoto, à la toiture rouge brique, se repère de loin, posé au bord d’une prairie. Cette ancienne urbaniste a fondé l’« éco-village de Yoichi », où elle organise des séjours nature et des ateliers de permaculture à la ferme. Elle y a installé sa maison miniature qui domine le potager, à flanc de montagne : « avant, je vivais en ville dans un immeuble insonorisé, je n’avais jamais entendu les oiseaux depuis ma chambre », commente la citadine devenue agricultrice, en écartant le rideau de sa tiny house qui dissimule l’épaisse forêt. D’autres habitations devraient bientôt sortir de terre, pour accueillir les voyageurs. En attendant de pouvoir y poser bagage, on glissera dans une poche un pot de tomates confites du jardin, souvenir de l’été passé.
Quelques centaines de mètres nous séparent du vignoble de Mongaku. La maison de son propriétaire, Shigeaki Kihara, veille sur le domaine qui s’étend sur le versant de la colline. D’en haut, les vignes ont vue sur mer. Le climat d’Hokkaido est devenu si propice à leur développement que l’agriculteur a rapidement abandonné son projet initial d’élevage porcin : « plusieurs obstacles se sont mis en travers de ma route, tandis que les vignes se sont très bien portées dès le départ, c’était un signe », raconte le viticulteur en regardant vers le ciel. Il produit aujourd’hui un vin naturel qui mature dans des caves à l’agencement bien réfléchi : « j’utilise la gravité pour faire couler le jus du raisin jusqu’aux citernes, elles sont semi-enterrées et profitent aussi d’une isolation naturelle », explique-t-il. Sous le crachin automnal, les vendanges du pinot noir ont débuté. Le cépage, mêlé aux six autres qu’il cultive, compose sa cuvée annuelle, un vin blanc délicat dont il ne produit que quelques milliers de bouteilles.
Accords locaux à Otaru
Berceau de la culture brassicole au Japon, Hokkaido abrite l’une des brasseries les plus réputées du pays, Sapporo, née à la fin du XIXe siècle. Mais dans l’ombre du géant fleurissent des maisons artisanales, comme celle d’Otaru Beer, installée dans la ville portuaire éponyme. On lui découvre, nichée dans un ancien entrepôt industriel longeant le canal, des accents germaniques. Sur la carte se déclinent Pilsner et Weizenbier : les recettes d’un brasseur munichois qui mise sur le local. Privilégiant l’eau des montagnes et les matières premières biologiques, l’établissement ne vend sa production que dans un rayon de 100 km maximum, la levure artisanale ne supportant pas les longs trajets. Une fois n’est pas coutume sur l’île, on commandera un assortiment de saucisses pour accompagner sa pression.
Les diverses spécialités d’Hokkaido se dégustent, elles, dans l’intimité des izakaya. Il faut traverser le canal et s’aventurer dans les ruelles obscures qui jouxtent la chatoyante artère commerçante du centre, pour dénicher le bar Rakuten. Ici, les traditionnelles cloisons qui séparent les tables ont été remplacées par de longs rideaux de corde brute. Clin d’œil aux marins du port ? La sélection de vins biologiques et naturels, d’Hokkaido et d’ailleurs, est une invitation à l’itinérance. Les crus se marient à des recettes de saison, comme ce grand bol d’oden, goûteux pot-au-feu où mijotent pâte de poisson, tofu frit et légumes d’automne, ou encore ces huîtres d’Hokkaido charnues à souhait, apportées fumantes sur un brasier. Le cliquetis des verres se noie dans les mélopées jazz du DJ nippon Nujabes : le Rakuten, dont le terme fait référence au paradis en japonais, porte décidément bien son nom.
Sapporo : à la recherche du goût de l’île
Dans le paysage viticole d’Hokkaido, dominé par les hommes, la vigneronne Yoshie Yobe fait figure d’exception. Son approche aussi : après avoir découvert le vin naturel lors de ses nombreux voyages en Europe, elle décide de produire « un vin bon pour le corps », faiblement alcoolisé et à base de levures indigènes. Son domaine, Fujino, se découvre au bout d’un sentier qui serpente entre les érables rosis par le soleil d’automne. Ses crus arborent une robe trouble et sauvage : « ils sont non-filtrés » souligne fièrement la viticultrice, comme pour mieux raconter d’où ils viennent. Idéal pour accompagner un tête-à tête avec la cime des grands pins qu’on aperçoit depuis la fenêtre de la propriété.
L’exploration de l’île ne serait pas complète sans une visite au restaurant du chef étoilé Tomoyuki Takao. À sa table, Hokkaido se raconte, à la fois simple et complexe, à travers des plats qui mettent à l’honneur les produits de la forêt environnante. Chaque matin, le cuisinier arpente la montagne pour y récolter baies, racines et végétaux traditionnellement utilisés par le peuple aïnou : « leurs connaissances sont une grande source d’inspiration », précise le chef qui, de retour en cuisine, explore les saveurs autochtones de l’île. Apprivoisée, la racine au goût subtil d’eucalyptus se marie à une tranche de bœuf wagyu, tandis que la baie aux allures de canneberge épice une gelée infusée au sirop de bouleau blanc. La petite sphère translucide se déguste comme on s’abreuverait de la rosée du matin, qu’elle symbolise : en portant à ses lèvres la feuille d’arbre sur laquelle elle a été déposée. Chez TAKAO, Hokkaido se mange.
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