Hatarakimono : des portraits de travailleurs japonais par K-NARF
Transformer le Super-Ordinaire en une archive Extra-Ordinaire à destination des générations futures, voilà le credo de K-NARF, artiste français installé depuis plusieurs années à Tokyo. Constituée d’une centaine de portraits de travailleurs japonais en uniforme, sa dernière capsule temporelle, le Project Hatarakimono, témoigne d’un ébranlement du monde du travail et immortalise des métiers voués à disparaître dans un Japon tourné vers l’avenir.
Qu’est-ce que les Hatarakimono et pourquoi avoir décidé de les photographier ?
Ce mot japonais très particulier, difficilement traduisible en français, signifie « bosseur ». Revêtu d’une connotation positive et employé avec un immense respect, le terme désigne avant tout un travailleur acharné, qui peut tout aussi bien être le patron d’une grande entreprise qu’un de ses employés. En étant domicilié au Japon, je me suis rendu compte que je rencontrais tous les jours des hatarakimono. Le chauffeur de taxi, le caissier du supermarché ou la dame de l’ascenseur délivrent tous un service impeccable à la clientèle. Pourtant les Japonais, et moi avec, avons tendance à les croiser sans leur prêter la moindre attention.
Comment avez-vous sélectionné les travailleurs et réussi à les convaincre de prendre la pose vêtus de leur uniforme ? Avec audace ou en y mettant les formes ?
Tout est très codifié au Japon, donc la partie la plus longue et complexe du projet a été de récolter des autorisations. Les travailleurs n’ont pas été difficiles à trouver et ont accepté avec joie de poser. Mais il fallait obtenir l’aval de leur entreprise pour qu’ils libèrent leur employé quelques minutes, juste le temps que je le photographie de face et de profils. Shoko, avec qui j’ai réalisé l’ensemble de ce projet, a été admirable et m’a épaulé dans chacune de ces étapes. Nous travaillons ensemble comme les artistes Jeanne-Claude et Christo, et c’est elle qui a demandé et obtenu les autorisations, même celles que je croyais perdues d’avance, à l’instar du Ministère de la Sécurité Civile qui nous a autorisés à photographier les pompiers.
Les hatarakimono sont-ils encore nombreux au Japon ? Ne sont-ils pas menacés par les nouvelles technologies ?
Le chauffeur de taxi sera remplacé par une voiture sans chauffeur, le caissier sera obsolète face à une caisse automatique et le livreur deviendra peu à peu un drone. La disparition des hatarakimono est malheureusement inévitable. Ce sort est encore plus aggravé par le vieillissement de la société japonaise et une main d’œuvre non renouvelée, les jeunes n’aspirant plus à effectuer les métiers de service de leurs prédécesseurs. Avec Shoko, nous nous sommes même renseignés pour inscrire les hatarakimono auprès de l’UNESCO et assurer leur préservation, mais ils ne peuvent être classifiés en un seul groupe homogène selon les critères de l’institution. D’où l’urgence de réaliser les portraits de ces travailleurs, puis de les conserver pour les exposer dans le futur, dans 25 ans précisément.
Pourquoi attendre 25 ans ?
En 2042, le monde aura bien changé. Nous avons déjà choisi et contacté cinq musées pour présenter notre exposition : l’International Center of Photography de New-York, le British Museum à Londres, le musée Guimet à Paris, le New South Wales Art Gallery à Sydney et le musée Nezu à Tokyo. Ce processus fait partie intégrante de notre projet et nous comptons exposer les réponses des musées, seulement deux reçues à ce jour. Tandis que le musée australien ne comprend pas notre démarche, le musée anglais s’est excusé de ne pouvoir donner suite à notre requête, étant donné que le British Museum ne comporte pas de département photographique.
Pourriez-vous expliquer le processus de développement photographique néo-vintage mis au point par vos soins, la « Tape-O-Graphie » ?
Mon travail photographique s’inscrit dans le mouvement artistique Bricolage crée par l’artiste américain Tom Sachs. J’utilise pour cela des matériaux simples et des outils totalement amateurs, sans grande valeur. Muni de scotch et d’une petite imprimante pour le moins basique, j’imprime mes photographies sur lesquelles j’applique l’adhésif, avant de l’arracher et de contempler les effets des traces sur les impressions. Ce procédé manuel permet de donner un aspect unique à chaque tape-o-graphe grâce aux imperfections qui apparaissent au fil du développement.
Est-ce qu’il y a d’autres facettes de la culture japonaise qui vous intriguent au point de pouvoir vous inspirer ?
Le Projet Hatarakimono a été un travail de longue haleine de presque trois ans, dont deux ans de pures prises de vues et le développement. Nous allons d’abord nous accorder une pause bien méritée, avant d’envisager d’évoquer un thème qui nous interpelle particulièrement, l’utilisation du plastique au Japon. Le pays est tristement le second plus grand consommateur de plastique après les États-Unis, nous aimerions susciter une réflexion sur ce fléau.
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