La vie de Masahisa Fukase sur grand écran
Le photographe a connu une vie émaillée de souffrance, bientôt adaptée au cinéma avec détails inédits par le réalisateur Mark Gill.
Mark Gill
De 1976 à 1985, Masahisa Fukase est obsédé par les corbeaux qu’il photographie d’un bout à l’autre du Japon. Il vit alors une profonde dépression, accentuée par son divorce avec Yoko Wanibe, son modèle et amante. Ce travail expiatoire, publié au sein du livre Ravens, reste son chef d’œuvre absolu, dont les images en noir et blanc expriment toute la solitude et la mélancolie de leur auteur.
Un projet qui a marqué le cinéaste britannique Mark Gill, tombé dessus au hasard d’un magazine il y a quelques années, et l’a mené à découvrir la vie tourmentée du photographe japonais. « C’était un homme qui aimait et détestait la photographie pour ce qu’elle lui a donné et ce qu’elle lui a pris », confie le réalisateur à Pen. « Son travail est marqué par l’honnêteté. C’était la seule manière pour lui de s’exprimer ». Fasciné par la vie de Masahisa Fukase, Mark Gill décide d’en faire un biopic intitulé Ravens avec l’accord du fonds d’archives de Fukase.
Le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai, il s’était déjà attaqué au biopic d’un artiste en 2017 avec England is mine, un long métrage consacré au chanteur Morrissey. Son premier court-métrage majeur, The Voorman Problem (2011), avait quant à lui été nominé aux Oscars et aux BAFTA.
Un art photographique teinté de malheur
Né en 1934 à Hokkaido, Masahisa Fukase est vite amené à reprendre le studio photographique familial. Un destin auquel il se soustrait en poursuivant des études d’art à Tokyo avant de se lancer dans la photographie publicitaire et commerciale. Son approche singulière du medium émerge alors que Masahisa Fukase est touché par le malheur. Sa première femme accouche d’un enfant mort-né que le photographe immortalise malgré les protestations de la mère. Le cliché figurera au sein d’une exposition rassemblant par ailleurs ses photographies de porcs menés à l’abattoir, KILL THE PIGS, signant la fin de son couple et la naissance d’un art du portrait teinté de bizarre.
C’est le début des années 1960 et Masahisa Fukase se met à boire et fréquente notamment les bars minuscules de Golden Gai à Shinjuku, dont le Nami. Il rencontre alors Yoko Wanibe qui l’inspire et qu’il photographie sous toutes ses coutures. Les deux vivent une histoire passionnée qui les pousse à se marier, bien qu’officialiser leur lien ne leur évite guère les nombreuses disputes, tromperies et séparations qui suivront. Un jour, pris d’un accès de violence, le photographe menace sa muse d’un couteau. Elle le quitte et, lui, s’envole pour son Hokkaido natal dont il ne cessera de traquer les corbeaux pendant les dix années à venir.
Deux personnages d’envergure cinématographique
« Fukase et Yoko sont similaires aux corbeaux », explique Mark Gill. « Il y a une ombre qui plane sur eux ». Deux existences tumultueuses que le cinéaste a décidé de mettre au cœur de son film. Tourné en noir et blanc, pour respecter l’esthétique de Masahisa Fukase, le long métrage sera centré sur leur histoire d’amour. Mark Gill a tenu à tourner son film à Hokkaido, la région d’origine de Masahisa Fukase. Les épisodes tokyoïtes de la vie du photographe, et notamment les bars du Golden Gai comme le Nami, seront, eux, recréés en studio. C’est l’acteur respecté Tadanobu Asano, aperçu auparavant dans Ichi the Killer de Takashi Miike ou Zatoichi de Takeshi Kitano, qui interprètera Masahisa Fukase.
Le cinéaste a en outre obtenu le concours de Yoko Wanibe, qui a survécu à Fukase. Mark Gill a pu la rencontrer plusieurs fois et a obtenu son accord pour la mise en scène de son personnage. « C’est autant son film que celui de Fukase », précise le réalisateur. Elle est d’ailleurs très enthousiaste à l’idée de voir son histoire interprétée sur grand écran. Malgré leur brouille, Yoko Wanibe n’a eu de cesse de veiller Masahisa Fukase sur son lit d’hôpital jusqu’à ce que le photographe s’éteigne en 2012. Il avait passé les vingt dernières années de sa vie dans le coma après une chute en sortant d’un bar.
Mark Gill
Mark Gill
Mark Gill
Mark Gill
LES PLUS POPULAIRES
-
La subtilité de l'art japonais du papier exposée à Londres
En 2018, quinze créateurs contemporains ont eu carte blanche à la Japan House pour exprimer leur art au moyen de papier “washi” traditionnel.
-
Les nuits électriques de Tokyo sublimées par Liam Wong
Dans la série “TO:KY:OO”, le photographe capture la capitale à la nuit tombée, lorsque les néons créent une ambiance cinématographique.
-
Recette vegan de pot-au-feu japonais par Lina et Setsuko Kurata
Le “oden” est un plat typique de l’hiver, que l’on peut préparer chez soi mais que l’on trouve aussi en vente en supermarché dans l'archipel.
-
La quintessence de la beauté du Japon retranscrite par Erin Nicholls
L'artiste australienne saisit avec acuité les scènes et détails les plus insignifiants du quotidien qui semblent soudain prendre vie.
-
Adrien Jean, immersion dans une culture solitaire
Dans cette série, le photographe questionne le sentiment de solitude, des Japonais mais aussi des voyageurs qui visitent l’archipel.