Casa Wabi, une fondation d’art engagée et un pont entre le Japon et le Mexique

17.12.2019

TexteRebecca Zissmann

Devant la furie de l’océan Pacifique, un mur de béton dressé. Plus de dix mille kilomètres séparent le Japon du Mexique. La Fondation Casa Wabi, imaginée par l’artiste Bosco Sodi et bâtie par le génie de Tadao Ando, entend bien rapprocher ces deux cultures.

Cette idée a émergé dans l’esprit d’un seul homme. Bosco Sodi est un artiste mexicain réputé pour ses peintures grandeur nature aux couleurs explosives et ses sculptures verticales exaltant la part brute des éléments. Son œuvre pourrait être qualifiée d’épurée, faisant ainsi écho aux principes du wabi-sabi, philosophie japonaise que lui a transmis sa mère. Son premier lien avec le Japon, un pays où il se rend souvent. C’est ainsi lors d’une résidence de deux mois et demi à Tokyo qu’il découvre pour la première fois le travail de Tadao Ando.

« J’ai tout de suite trouvé que ses œuvres vieillissaient bien », explique Sodi. « Car elles sont d’une grande simplicité, ne jouant que d’ombre et de lumière ». Autre référence à un monument de l’esthétique japonaise, « L’éloge de l’ombre » par Junichiro Tanizaki.

Un architecte japonais pour une fondation mexicaine

C’est alors une révélation pour l’artiste mexicain : Tadao Ando doit être l’architecte de son idée de fondation au bord du Pacifique. Un projet qu’il mûrit depuis quelques temps, lui qui a quitté le Mexique pour installer son studio à New York, où ses œuvres commencent à connaître la notoriété. Il souhaite créer un lieu hybride où des artistes seraient en résidence mais où ils participeraient aussi à la vie de la communauté locale. Une manière de redonner à son pays.

« Il y a un manque d’engagement social dans le monde de l’art. Or, je suis convaincu que l’art donne des outils pour mieux comprendre le monde. Si on offre ces outils à des enfants, ils pourront changer le monde » – Bosco Sodi

La Casa Wabi, dont le nom fait honneur à l’esthétique japonaise, n’est cependant pas encore assurée d’exister. Car pour cela, il faut l’accord du grand maître de l’architecture japonaise contemporaine. Dès 2009, Sodi entre en contact avec Ando par fax. Mais ce dernier refuse le projet. C’est par l’entremise d’un négociant d’art japonais rencontré à New York que Sodi réussit à appâter et enfin rencontrer l’architecte. L’entretien a lieu dans son studio new-yorkais où Ando tombe sous le charme d’une de ses peintures rouges carmin. Il ne donne pourtant toujours pas son accord.

« C’est à cause d’un évènement tragique que tout s’est débloqué », confie Sodi. « En 2012, l’ouragan Sandy dévaste New-York et inonde mon studio. Un des assistants d’Ando lui a montré des photos et il a accepté de construire Casa Wabi ».

Stars de l’architecture et savoir-faire local

Encore plus extraordinaire, l’architecte conçoit les plans de la fondation sans en avoir foulé le terrain. Sodi a dû louer un hélicoptère et lui faire parvenir des clichés aériens. Ando a alors dessiné le mur iconique de la fondation. 360m2 de béton, le matériau fétiche du Japonais, pour un mur de 312 mètres de long pour 3,6 mètres de haut. Une frontière face à l’océan et une séparation concrète entre la partie publique de la fondation et l’espace de résidence. Sa construction n’a néanmoins pas été aisée.

« Il n’y avait pas d’usine de béton dans les environs », se remémore Sodi. « Nous avons du produire le béton sur place. 90 personnes ont transporté les seaux sur leur dos. C’était fou, je ne sais pas comment on l’a fait ! »

Dès le départ, la Fondation Casa Wabi allie différents talents et forces de création. Outre Tadao Ando, de grands noms de l’architecture internationale ont souhaité ajouter leur pierre à l’édifice et échanger avec la communauté locale. Kengo Kuma, autre figure de l’architecture nippone, a conçu un poulailler dont la forme incite à réfléchir à l’habitat collectif et aux liens qu’il favorise.

Autour de la structure principale de Casa Wabi émergent des pavillons indépendants, chacun consacré à une thématique spécifique. Celui élaboré par l’architecte mexicain Alberto Kalach honore la céramique, de la manière la plus simple et proche de la nature possible. Le Pavillon d’Argile, quant à lui, est un lieu où les enfants du coin peuvent apprendre à se reconnecter à la terre. Il a été mis au point par l’architecte portugais Alvaro Siza.

Un tremplin pour les artistes d’âges et horizons variés

L’art est bien sûr aussi au cœur du projet. Bosco Sodi lui-même y a laissé une œuvre, « Los Atlantes », du land-art sous la forme d’un labyrinthe de cubes de glaise où, lorsqu’on y pénètre, tout devient plus saillant. Des variations de lumière à la végétation qui en parsème les tranchées, sans oublier le bruit de l’océan.

Chaque février, la Fondation Casa Wabi présente un nouveau projet dans son espace d’exposition. Aujourd’hui, le Japonais Izumi Kato en a investi l’espace avec ses peintures humanoïdes primitives qui poussent à l’extrême la simplification de la forme.

Encore un pont avec le Japon. Si Casa Wabi reçoit des artistes japonais, elle envoie aussi des artistes mexicains dans son antenne tokyoïte. Casa Nano est d’abord une maison achetée par Sodi lors d’un de ses séjours dans l’archipel. N’en ayant pas l’utilité, il la transforme en un espace d’exposition et une résidence pour un artiste mexicain qui peut venir se former à l’esthétique japonaise pendant quelques mois.

Les échanges ne s’arrêtent pas là car la Fondation Casa Wabi, qui vient de fêter ses cinq ans, va ouvrir en septembre 2020 un pavillon autour du travail du bois. Un charpentier japonais fera le déplacement pour l’occasion, afin d’enseigner aux Mexicains la menuiserie japonaise.

Pour en savoir plus sur la participation de Tadao Ando à la construction de Casa Wabi, le documentaire « Just Meet » réalisé par Fernanda Romandía est disponible en ligne.