Nora Rupp sur la route de Shikoku

D'un temple à l'autre, la photographe immortalise son expérience du pèlerinage de cette île de l'ouest du Japon, réalisée en 2010.

21.04.2021

TexteMarie-Charlotte

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

« Ce n’est pas le but qui compte, mais le chemin ». Un adage qui se plie à merveille au voyage de Nora Rupp le long de son pèlerinage sur l’île de Shikoku. En 2010, la jeune photographe entreprend de relier à pied les 88 temples qui y sont logés. Cette expérience spirituelle, plus que religieuse dans son cas, fait suite à un premier parcours pour atteindre Saint-Jacques de Compostelle depuis chez elle, à Lausanne, deux ans auparavant. Seule, elle arpente les 1400 km du chemin japonais en quatre semaines environ. Quête initiatique baptisée henro, nom du pèlerinage comme de la série.

 

À la recherche du soi perdu

Entreprendre un pèlerinage ne se résume pas aux distances parcourues. Pour l’artiste, c’est un moyen d’aller vers nous-même, une chasse à soi qui devient un moment charnière de la vie. « C’est vraiment l’expérience qui m’intéresse. Devenir pèlerin, le vivre », comme elle nous l’explique. Après Compostelle, il lui fallait un nouveau défi de cet acabit, mais aussi un sujet d’étude pour ses photographies. Ignorant son existence au préalable, elle découvre Shikoku et organise son périple. Avant son arrivée, elle entre en contact avec le président de l’association des pèlerins de l’île, M. Matsuoka. Une rencontre décisive sur son trajet, autant pour les informations qu’il va lui livrer, que pour l’aide qu’il va lui apporter pour se loger sur la route.

 

L’habit fait le pèlerin

Face à nous, les marcheurs posent fièrement. Seuls pour la plupart, ils arborent une tenue à laquelle ils accordent beaucoup d’importance. Celle-ci est une association entre technicité et traditionnel. Car s’il est essentiel de disposer du meilleur équipement pour la route, l’aspect qui s’en dégage l’est tout autant, « comme si pour être un “vrai” pèlerin il fallait porter l’habit ». À mesure qu’ils s’avancent sur le sillage, pèlerins et pèlerinage ne font plus qu’un. Henro signifie aussi bien le parcours que celui qui l’emprunte. Une union si forte qu’il devient dur de s’arrêter une fois la foulée lancée, presque décidé à accomplir le chemin inverse à pied également. « Sur Shikoku, j’ai croisé plusieurs personnes qui vivaient sur le chemin et continuaient à tourner sur l’île qui a la particularité d’être un pèlerinage en boucle. ».

Bien que le but premier reste l’expérience personnelle, la rencontre avec l’autre fait partie intrinsèque de l’aventure. Pourtant, ce fut difficile pour l’artiste de faire de nouvelles connaissances. Si la barrière de la langue, la différence culturelle, sont les principaux obstacles, il s’avère que peu de pèlerins décident d’entreprendre le voyage à pied et y préfèrent l’option pré-organisée et motorisée. Les acolytes de marche se font donc plus rares, et la solitude plus prégnante.

Postulat qui se révèle à double tranchant, il permet à la fois d’atteindre une plénitude méditative et introspective d’une grande puissance, mais est parfois difficile à assumer. « Il y a une très grande solitude tout au long du chemin, des journées entières seule, jour après jour. Le soir venu, la solitude devenait par moment lourde. Impossible de partager la journée avec quiconque. Il fallait trouver un lieu pour dormir et manger et tout cela sans parler la langue, c’était compliqué et par moment épuisant. Cela a été le voyage le plus dur que j’ai vécu (j’ai beaucoup voyagé seule), mais aussi le plus puissant et spirituel. Peut-être à cause de cette expérience extrêmement solitaire et perdue dans une culture et une langue inconnue. Physiquement, c’est aussi un pèlerinage très dur, car les temples sont fréquemment au sommet d’une montagne ou colline et il y a donc beaucoup de dénivelés. »

 

Je marche donc je suis

L’état méditatif qui germe durant cette marche au long cours permet de porter un œil apaisé sur son environnement, d’entrer dans une posture contemplative. « Tout passe, puisqu’on ne s’arrête presque pas, on avance sans cesse, mais cela passe au rythme des pas, donc avec douceur et calme (ce dont on a très peu l’habitude dans notre quotidien). Ce sont en effet des moments suspendus et poétiques. Prendre le temps d’observer autour de soi au rythme de ses pas peut aider à parcourir les derniers kilomètres de la journée. »

Un état d’esprit qui se retrouve dans ces clichés de nature, au-delà des portraits, où Nora Rupp prend le temps et s’attarde sur cette rose que protège un parapluie, cette route qui surgit à flanc de montagne avant d’y replonger, ou encore cette Funny House dont la devanture jaune pastel dénote dans le décor, mais intrigue à la manière d’un nappage acidulé. Par ses similitudes autant que ses distinctions, la série Sentier Battu réalisée sur le chemin de Compostelle ouvre une lecture supplémentaire sur l’expérience de pèlerinage, sur la façon de le vivre.

 

Henro (2010), une série de photographies par Nora Rupp à retrouver sur son site internet ainsi qu’en format catalogue en contactant l’artiste.

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre“ © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp

Nora Rupp, Henro, 2010, “sans titre” © Nora Rupp