Ekaterina Bazhenova-Yamasaki, le nu féminin et les réalités patriarcales

Dans “Water Sex Salvation” l'artiste poursuit son analyse de la place du corps dans la société japonaise contemporaine.

23.04.2021

TexteHenri Robert

© “Water Sex Salvation”, Ekaterina Bazhenova-Yamasaki

« Quand on voit une image d’un homme nu – on présume qu’il s’agit juste d’un corps. Quand c’est une femme nue, on suppose que c’est associé à la sexualité. » Ce constat de la photographe Ekaterina Bazhenova-Yamasaki accompagne le dernier épisode d’une trilogie japonaise, intitulé Water Sex Salvation (2019).

Le qualificatif de multidisciplinaire est rarement aussi bien adapté qu’à la pratique de l’artiste russo-britannique installée à Los Angeles. Ici, c’est son oeuvre de photographe artistique qui est mise en lumière, mais Ekaterina Bazhenova-Yamasaki s’adonne également à la photographie commerciale, la céramique, la sculpture, au son et à la vidéo.

 

« Je voulais créer un sentiment plutôt qu’une simple image »

Ekaterina Bazhenova-Yamasaki visite fréquemment le Japon depuis une décennie, et après Room 207 et Memory Turned Into Flesh, en 2019 Water Sex Salvation achève une série sur le corps de la femme dans la société contemporaine japonaise. « Je me réfère à la notion de fétiche et examine les modes de perception de soi, à travers un objet complexe – notre corps », explique l’artiste à Pen.

Dans une société japonaise où le patriarcat est toujours prégnant, même si de manière plus subtile aujourd’hui, l’artiste s’intéresse à la « connexion entre la nudité et la représentation de la séduction, et à celle entre la séduction et la féminité, qui impliquent non seulement une dimension visuelle, mais sont aussi exécutées, performées. » La démarche d’Ekaterina Bazhenova-Yamasaki vise à nous mettre face aux réalités patriarcales et aux dynamiques de pouvoir qui régissent notre société, notre quotidien. L’œuvre se présente comme « un défi à l’exhibitionnisme et à l’objectivation. »

Water Sex Salvation se veut plus qu’une archive d’images et de textes : « C’est une vraie exposition — un objet très tactile fait de visuels et d’écritures abstraites. Si j’appelais cela une poésie visuelle, je me contredirais probablement avec deux médias intrinsèquement différents ; la poésie se déploie dans le temps et la photographie existe dans l’espace. Au fond, je voulais créer un sentiment plutôt qu’une image en elle-même », insiste Ekaterina Bazhenova-Yamasaki.

Qu’est-ce qui sexualise une image, un corps, un objet, un environnement — en bref, ce qui nous entoure ? Les photographies réunies dans Water Sex Salvation montrent et esthétisent, principalement en noir et blanc, ce qui à première vue pourrait être défini comme banal. Face à ces oursins, cette flore, l’eau ou cette voiture abandonnée dans un parking, apparaît un corps féminin, dans des poses lascives qui sont dans notre société associées au désir.

 

La pensée est brève alors que l’image est absolue

« L’acte d’équilibre devient un symbole de l’esthétique elle-même – qui pourrait aboutir à l’abolition de la corporéité, de l’érotisme, de la culture alimentaire et de la culture de la mort dans les sociétés occidentales, capitalistes et démocratiques. L’intimité que nous avons avec les marchandises (de manière très similaire à celle que nous avons avec notre corps) amène à les considérer comme des reflets de nos personnalités, nous projetons notre subjectivité sur elles », poursuit l’artiste.

Ekaterina Bazhenova-Yamasaki estime « que toute femme intelligente est une féministe. Mais comme nous le savons, le féminisme a de nombreuses formes », notamment au niveau international.

Quand on l’interroge sur l’évolution de sa réflexion, les leçons apprises au fil de son expérience à travers cette série, l’artiste explique que ce projet lui a permis « de se sensibiliser. À un moment donné, les deux premiers livres ont été sur-sexualisés par le public et ont suscité des réflexions sur la sexualité et le regard masculin. En tant qu’artiste, je révèle mon monde au public, et je force le public à y croire ou à le rejeter comme quelque chose de non pertinent et peu convaincant. Car la pensée est brève alors que l’image est absolue. Il est impossible de convaincre quiconque que vous avez raison si les images créées n’ont pas réussi à convaincre quelqu’un. »

Et pour ceux souhaitant effectuer le même cheminement intellectuel, les deux premiers épisodes de la série sont à découvrir sur le site de l’artiste.

 

Water Sex Salvation (2019), un livre de Ekaterina Bazhenova-Yamasaki, auto-publié et disponible sur GoodPress.

© “Water Sex Salvation”, Ekaterina Bazhenova-Yamasaki

© “Water Sex Salvation”, Ekaterina Bazhenova-Yamasaki

© “Water Sex Salvation”, Ekaterina Bazhenova-Yamasaki

© “Water Sex Salvation”, Ekaterina Bazhenova-Yamasaki