S’allonger pour reformer la norme

Avec “Kikuo — Reclining Woo-Man”, le photographe Ryudai Takano interroge les normes identitaires et sociales, et leurs représentations.

18.11.2021

TexteHenri Robert

© Ryudai Takano

Né en 1963 à Fukui, Ryudai Takano travaille depuis le début des années 1990 autour des questions du corps et de la sexualité, notamment à travers des séries de nus. Porté par une volonté d’afficher le sujet de la manière la plus objective qui soit, il s’affranchit des conventions.

La série Kikuo — Reclining Woo-Man (1997-2001) présente ainsi une image totalement différente de la nudité, celle de son ami Kikuo ; un homme obèse, d’âge moyen, que l’artiste immortalise allongé sur un canapé. Pour mener à bien ce projet — et convaincre le modèle —, il a souhaité montrer un genre de corps nu qui avait jusqu’alors été ignoré par l’art. Les photographies ont été publiées dans un livre éponyme en 2021.

 

Dépasser l’Olympia

Le titre de la série est issu du terme reclining woman (« femme couchée »), un classique de la peinture européenne dont il prend le contre-pied. Dans les clichés en noir et blanc réalisés, le modèle est présenté allongé, façon Olympia d’Edouard Manet.

Comme l’exprime dans la préface le critique et essayiste britannique Duncan Wooldridge, « là où la peinture avait été un espace dans lequel s’invitait l’imaginaire, Manet a fait pénétrer dans l’image la réalité brute du nu : son modèle, Victorine Meurent, renvoie le regard, construisant une scène d’échange plutôt que de voyeurisme. Je pense que Takano, voyant la photographie utilisée pour des constructions, des mises en scène, a souhaité s’en servir pour montrer quelque chose au monde : en l’occurrence le corps masculin. »

Dans ces photographies, qui prennent également la forme de diptyques et triptyques, le corps est séquencé, libéré d’un regard qui l’a jusqu’alors jugé. Ce qui frappe est l’attitude de Kikuo, il ne joue pas, ne surjoue pas ; ses poses laissent à penser qu’il s’agit d’une présentation et non d’une représentation.

« Takano nous montre comment repenser la vision. Il teste les capacités de la photographie, de manière ludique, subversive. Il ne veut pas utiliser la photographie pour nous montrer ce que nous savons déjà, mais pour illustrer la manière dont le monde est formé ; par une vision en constante évolution, en mouvement, en renaissance », poursuit Duncan Wooldridge.

Au-delà de cette série, l’artiste — qui collabore avec les galeries Ibasho et Yumiko Chiba Associates —, est notamment reconnu pour In My Room, un travail de mise en lumière des zones d’ambiguïtés qui recouvrent la binarité de genre ou d’orientation sexuelle. Ce travail a été récompensé en 2005 par le prix Kimura Ihei.

 

Kikuo — Reclining Woo-Man (2021), une série de photographies par Ryudai Takano éditée par Libraryman.

© Ryudai Takano

© Ryudai Takano

© Ryudai Takano