Kohey Kanno, regard d’une minorité sur les minorités

Dans “Libido”, le photographe témoigne de son expérience de la lutte aux côtés des minorités à New York, pour inspirer celles du Japon.

01.04.2021

TexteHenri Robert

“Libido” © Kohey Kanno

Un photographe n’est pas uniquement un spectateur. Son œuvre fait de lui un acteur, un militant. Mettre sur le devant de la scène ce qu’il peut considérer problématique, comme les combats de minorités à travers le monde, permet une prise de conscience, une introspection, un état des lieux. En 2016, Kohey Kanno présentait dans la série Libido le combat des minorités new-yorkaises, et prenait conscience de sa position délicate, voire d’étranger. « Photo après photo, je devenais simplement plus distant, scellant mon destin de spectateur zélé », confie t-il à Pen.

Le photographe, originaire de Tokyo, s’installe en 2008 à New York, en plein milieu de la crise financière qui touche durement la métropole. « J’ai commencé à être attentif à toutes les personnes qui partageaient ma maison. Elles se battaient pour garantir leurs droits. Leur passion était quelque chose qui m’était étranger, inconnu au Japon. Leur acuité a résonné en moi et a laissé une marque indélébile », poursuit l’artiste. La ville est à cette période en pleine émulation et le terrain de toutes les luttes, au-delà des questions économiques. Ses amis s’engagent contre le racisme, les discriminations envers les minorités sexuelles, ou sur des questions de politique internationale.

 

Prise de conscience japonaise

New York, son agitation, l’incitation à dépasser les normes, à s’ouvrir au monde, amènent également Kohey Kanno — qui est alors en couple — à fréquenter un nouveau compagnon. Celui-ci l’initie au fétichisme et aux pratiques sadomasochistes. Libido permet de se plonger dans les combats de l’artiste. Ceux qui le font vibrer. « J’ai aussi commencé à prêter attention à toutes les “minorités”, qui faisaient le maillage de la ville. Chacun de leurs mondes semblait avoir son propre ensemble de règles, son propre code esthétique. Leur fierté et leur étreinte sans réserve de la liberté étaient toujours d’une beauté indescriptible à mes yeux. »

Pourtant, cette expérience permet également à Kohey Kanno de mesurer les limites qu’il ressent à s’engager socialement dans un pays qui n’est pas le sien. De retour au Japon en 2016, il perçoit les changements de son pays natal. « Je pensais que le Japon était bien plus en retard sur les problèmes rencontrés par les minorités. Cependant, la globalisation a permis à ces questions d’atteindre le pays. Il y a beaucoup de différences entre le Japon et les États-Unis mais je pense que le problème global est le même », explique t-il. Et quand on lui demande s’il observe une dynamique positive au Japon, il répond : « Je peux mentionner de nombreux points négatifs, mais je pense que ces “problèmes” sont devenus visibles. Les gens commencent à échanger sur le sujet, malgré les idéologies différentes qui s’affrontent. Je suis, de mon côté, aujourd’hui davantage intéressé par la question du genre. Je veux étudier cette question plus profondément. »

En somme, apprendre à combattre, avec ou sans appareil photo.

Une autre facette de la sensibilité de Kohey Kanno s’exprime dans la série Losers, également réalisée à New York. Une touchante balade à la rencontre de ceux que la mégalopole a abattus.

 

Libido (2016), une série photographique par Kohey Kanno, à retrouver sur le site internet de l’artiste.

“Libido” © Kohey Kanno

“Libido” © Kohey Kanno

“Libido” © Kohey Kanno

“Libido” © Kohey Kanno