Prendre le temps de voir la forêt respirer avec Takeshi Shikama

Une histoire, une technique photographique. “Silent Respiration of Forests” est un appel à repenser notre rapport à la nature.

21.07.2021

TexteHenri Robert

“Harudakenuma” #17, 2006

À l’automne 2001, Takeshi Shikama s’égare hors du sentier de montagne qu’il arpentait, pénètre dans la forêt et s’y perd, à l’ombre des arbres. Soudain, « je me suis retrouvé pris d’une puissante envie de photographier », se souvient-il. Davantage qu’un désir, l’artiste perçoit un appel de la nature. Le jour suivant, il est de retour sur place et se met au travail. Cet instant bouleverse sa vie. Il quitte alors le monde du design afin de s’adonner à sa nouvelle passion, capturer l’âme des forêts à travers le monde, donnant naissance à plusieurs séries photographiques.

À l’origine de cette prise de conscience, le projet de fuir Tokyo avec son épouse et la construction d’une petite maison en bois en pleine nature, pour laquelle il dû abattre des pins rouges presque centenaires. « Je me souviens encore très bien de la sensation ressentie lorsque je m’asseyais à califourchon sur les arbres abattus, arrachant leur écorce. Les arbres se sont effondrés sur le sol, provoquant un bruit sourd, faisant trembler tout mon corps. Je levais les yeux et restais un moment immobile, totalement submergé par l’immensité du ciel. J’ai eu l’impression d’être taché par le sang coulant d’une blessure que j’aurais causée à une autre personne, j’étais couvert d’éclaboussures de sève d’arbre jaillissant de la lame de ma hache. Cela m’a fait prendre conscience de l’énergie vivante des arbres », explique l’artiste.

 

Saisir une présence

Dans une démarche qui s’associe au shintoïsme, l’artiste né en 1948 décide, face au constat du danger qui guette les forêts — aussi bien lié au changement climatique qu’à l’effacement du lien entre l’humain et la nature, — d’y consacrer sa vie, d’établir un dialogue avec ces lieux qui ont été vénérés pendant des siècles. Pour ce faire, il utilise sa chambre photographique, et réalise ses tirages au platine-palladium, imprimés sur un papier traditionnel japonais, pour un résultat offrant des tons allant du noir froid au brun.

Les photographies, qui rappellent le travail des maîtres du XIXème siècle, tels que Ansel Adams ou Carleton Watkins, permettent de dévoiler les moindres détails des troncs et des branches, de leur environnement, qui ne semblent pas figés sur le papier. Le temps de pose long donne le sentiment de suivre les déambulations de ces êtres, de sentir leur réaction face à l’eau, au vent, au bruit de leurs feuilles. Les différentes séries réalisées autour de cette thématique invitent à la contemplation, du mont Chokai au mont Ishizuchi, jusqu’au Parc national de Yosemite, en Californie. Takeshi Shikama s’inscrit dans l’histoire de la photographie en associant dans son œuvre le patrimoine naturel mondial et celui culturel, technique.

Pour découvrir un autre aspect de son travail, la série Urban Forests amène le public à découvrir les plus belles interactions entre l’homme, la ville et la nature, des parcs et jardins de Barcelone, New York ou Paris.

 

Mori no Hida — Silent Respiration of Forests (2007), un livre de photographies par Takeshi Shikama édité par Toseisha.

“Yosemite” #13, 2010/2011

“Mt.Chyokai” #91, 2006

“Tsukiyodaira” #1, 2006

“Mt.Takamaru” #5, 2010

“Pacific Northwest: Ruby Beach” #1, 2011/2012