Daisuke Nakashima, l’art de l’effeuillage par l’image
Dans sa série “fluorescence”, le photographe va au-delà des couches visibles de ses clichés pour glaner du sens sous la surface.
© Daisuke Nakashima
Rendre tangibles les images qu’il a en tête, se détacher du strict réel pour élaguer la surface et envisager sa couche inférieure. Enfant, déjà, Daisuke Nakashima exprimait ce besoin de transposer son univers mental en objets visuels. Une ambition qui prend une nouvelle dimension lorsque son père lui cède son appareil photo. « Je me suis rendu compte que la photographie, qui peut reproduire la scène devant moi facilement, est un moyen d’expression plus efficace que mes dessins », nous explique l’artiste.
Originaire d’Osaka, Daisuke Nakashima suit des études de psychologie en 2006, avant de renouer avec son art l’année suivante en s’inscrivant à des cours du soir en photographie au Visual Arts College. Ses intérêts divergent pourtant de ceux de l’école, qui valorise selon lui la réalité et le hasard. Une contradiction qui lui permet d’affiner et d’affirmer d’autant plus son goût pour le non visible, ou plutôt, le visible qui ne l’est pas, le visible qui ne se voit pas de manière superficielle. De 2009 à 2013, il débute la série fluorescence, et se concentre sur les différentes strates qui composent l’image.
Enlever le superflu
Nus. Les modèles de Daisuke Nakashima, des hommes exclusivement, sont nus. L’effeuillage commence par cette absence de vêtement, d’épaisseur qui masque une partie de celui que l’on est. Une nudité qui renvoie directement au sexe, l’un des principaux thèmes du photographe, abordé sous forme de détours, de sous-couches. Une fois ses modèles nus, ils sont à égalité avec les spectateurs. « Je choisis la situation “vous êtes quelqu’un, mais aussi n’importe qui”». On ne parle pas pour autant d’amour, le propos reste charnel et l’artiste, comme il le dit, ne se sent pas capable de ce sentiment. Sa recherche d’invisibilité l’a orienté vers l’irréel, synonyme pour lui d’internet, réalité en ligne et donc non palpable à l’origine, et c’est par ce biais qu’il a rencontré tous ses modèles.
On les voit chacun dans différentes situations, toujours en action, se baigner, se retourner… Des activités qui peuvent être passives, mais n’en sont pas moins des actes, des volontés d’agir comme regarder l’horizon ou dormir. « Pour moi, être endormi est une situation et une pose importante. C’est une métaphore de la libération, de la fuite et sa pose donne une impression de gravité zéro ou de flottement ». Au réveil, de dos, on voit leur visage par fragments, leur corps par segments. Comme pris sur le vif, ces cadrages et narrations sont le fruit d’une totale mise en scène. « J’aime que le travail soit “la scène que je veux voir” au lieu de “la scène que je vois”. Par exemple, lorsqu’un modèle s’est réveillé alors que j’étais sur le point de prendre une photo de lui endormi, je lui ai demandé de se rendormir ».
Lire entre les lignes
La photographie est une façon pour l’artiste d’avoir le contrôle. Le contrôle de ce qu’il veut voir, donner à voir au-delà de l’apparence. Elle lui permet d’adopter une posture d’affirmation de soi et de dépasser ses peurs. Une injonction de sa personne, qu’il ne cherche pas à reproduire pour ses clichés, les préférant au contraire libres de sens. Il aime fonctionner par métaphores et nuancer son contenu qui se dévoile en plusieurs couches de significations. « “Arbre” signifie “phallus”. “Eau” (et tout ce qui en découle, les gouttes d’eau, l’eau qui coule, les flaques) signifie un “état incertain”». Certains éléments de scénographie apparaissent par superposition ou plutôt par « chevauchement », comme il le dit : deux captures photographiques sur un même cliché, un homme à travers une vitre ou sous la surface de l’eau. « Mon intention est de rendre compte de la profondeur des couches dans la scène, et je pense que c’est efficace sur l’effet imaginaire. Elle nous fait prendre conscience de l’autre et de soi-même, de la frontière. »
Par définition, la fluorescence est cette « propriété que possèdent certains matériaux d’absorber la lumière et de la réémettre sous forme de rayonnement de longueur d’onde plus grande » (dictionnaire Larousse). Une couleur qui ne peut s’exprimer par les référents RGB et CMYK que l’on connaît, ou être reproduite sur le support photographique et les écrans LCD. C’est cette spécificité qui a inspiré Daisuke Nakashima. « Je crois que ces façons de voir l’image vont libérer notre vision stéréotypée, nous conduire à nous libérer de la catégorisation et de la spécification. C’est pourquoi j’ai appelé cette œuvre fluorescence ». Voir au-delà du visible. Ce qui est hors cadre, ou ce qui pourrait l’être « pour prendre conscience des perspectives d’invisibilité et d’incapacité à saisir sur la pellicule », mais aussi les superpositions entre photos ou entre objets, avec en trame de fond les différents sens qui se dégagent d’une image, celui que l’on perçoit au premier regard, et ceux qui surviennent en allant plus en profondeur. Daisuke Nakashima a prolongé dans cette série son élan vers l’autre, en allant plus loin que pour each other (2006-2008) où il se concentrait sur la surface.
fluorescence (2009-2013), une série photographique de Daisuke Nakashima à retrouver sur son site internet.
© Daisuke Nakashima
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