Par-delà la frontière, au cœur du vénérable Koyasan
Le grincement du train à l’approche de Koyasan résonne comme un avertissement. Nous nous apprêtons à traverser la frontière qui sépare l’agitation du monde inférieur (gekai) et le monde céleste (tenkai) qui nous attend. Étrangement anecdotique pour la plupart d’entre nous, cette séparation n’en est pas moins réelle pour les centaines de moines bouddhistes vivant dans cette région.
C’est en 819 que Kobo Daishi, fondateur de l’école de bouddhisme ésotérique Shingon, consacra Koyasan. Situé dans un bassin alpin et entouré de huit pics montagneux, cet endroit est communément associé à une fleur de lotus, symbole d’éveil. Et ce n’est pas tout… La légende raconte que le moine Kobo Daishi jeta un outil en forme de trident qui voyagea de la Chine à Koyasan où, aidé d’un chasseur, il le retrouva ensuite. Tout semblait indiquer à Kobo Daishi que Koyasan était l’emplacement idéal pour établir son monastère. Et c’est à l’endroit exact où l’instrument était tombé qu’il bâtit son pavillon de lecture, après avoir obtenu l’accord de l’empereur. Plus tard, d’autres édifices viendraient s’ajouter à cette zone désormais désignée sous le nom d’enceinte du temple de Danjo Garan.
Après sa création, plusieurs routes menant à Koyasan, jusque là inexistantes, commencèrent à prendre forme, convergeant vers sept portails au total. L’entrée principale, baptisée Choishi-michi, est annoncée par 180 choishi, ou panneaux en pierre, symbolisant respectivement les cinq éléments composant l’univers – la terre, l’eau, le feu, le vent et le vide. Le sentier, toujours praticable, reflète pleinement la beauté que recèle la préfecture montagneuse de Wakayama. Qui sait ? Il se pourrait que cette beauté ait constitué une source de stimulation pour les personnes qui gravirent ces pentes abruptes afin d’acheminer les matériaux nécessaires à la construction des lieux. À moins que leur récompense ne se trouvât non pas le long du chemin, mais à sa toute fin, sous les traits de l’un des plus beaux couchers de soleil du Japon. En quête de l’heure dorée et de sa magie, nous approchons d’Okunoin, le plus grand cimetière du Japon. Tandis que nos pas se perdent dans le crépuscule et que les derniers rayons du jour filtrent à travers les cèdres centenaires et les quelques 200 000 pierres tombales, on se laisse gagner par une sorte d’état contemplatif. Et apparemment, nous ne sommes pas les seuls ; dans le mausolée, au fond du cimetière, Kobo Daishi serait, dit-on, encore en vie – comme plongé dans un état de méditation éternel.
Une fois à l’abri du monde céleste de Koyasan et de ses 117 temples (quantité étonnante pour une si petite surface, mais qui n’est rien en comparaison avec les 1812 temples qui existaient autrefois), il devient difficile de retourner au « monde inférieur ». À Koyasan, le tumulte des extrêmes s’efface pour révéler le juste milieu en toute subtilité : des sons purs comme ceux de la nature qui nous entoure, la scansion des sutras émanant d’Okunoin, ou encore le rythme des tambours taiko qui accompagnent les rituels matinaux. Sans compter les délicates notes – parfumées cette fois – des mets végétariens shoji servis dans les temples et dans certains restaurants en ville. Ici, un nouveau monde de saveurs, habituellement éclipsées par de plus intenses, se manifeste en sourdine. Koyasan est, par essence, un lieu qui invite à demeurer dans les silences, les intervalles, pour prendre conscience qu’il reste encore beaucoup à découvrir.
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