Au mont Koya, sur les traces d’un bouddhisme japonais à l’histoire millénaire
Les 3 Monts Sacrés du Kansai #02
Le chemin qui mène au mont Koya est long, il est sinueux et plein de détours. Comment pourrait-il en être autrement ? Lieu sacré entre tous de ce Japon de l’envers, loin de Tokyo et de ses néons en pagaille, la divine montagne, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, ne s’offre pas sans peine, ni patience. Quel parcours en effet depuis l’aéroport international du Kansai ! Un pèlerinage, ou presque. Mais c’est bien le charme des voyages que de rendre attrayant, romanesque presque, des trajets qui pris dans le quotidien ne nous évoqueraient qu’ennui et lassitude. Sans compter le bonheur qu’il y a à voyager au Japon, à monter dans ses trains, merveilles de confort aux détails si soigneusement travaillés, à profiter de ces mille et une petites attentions du personnel, à jouir de cette qualité de silence aussi qui en fait des lieux propices au rêve et à la divagation. À se découvrir ailleurs.
Depuis l’aéroport du Kansai, ce sont les lignes de la compagnie Nankai qui nous conduisent, jusqu’à Namba d’abord, au cœur de la trépidante Osaka, puis jusqu’à Hashimoto via la ligne Nankai-Koya. Faute de funiculaire, indisponible jusqu’au début du printemps, c’est en bus que se fait la dernière partie du trajet avec ses lacets qui ravissent par le spectacle qu’ils nous offrent. Puis vient l’arrivée, àprès de 1000 mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est en 805 que s’installa ici Kukai, moine bouddhiste parti deux ans en Chine étudier les fondements d’un bouddhisme ésotérique, le Shingon. À son retour, il fonde le Kongobu-ji, premier et plus important des temples d’une montagne qui en compta jusqu’à deux mille. La légende raconte que c’est à un lancer de sanko, une sorte de harpon à trois têtes, utilisé dans les cérémonies bouddhiques, et à deux chiens, l’un noir, l’autre blanc, qu’il dut son choix du mont Koya. On ne s’étonnera pas donc de retrouver ces symboles, le sanko et les deux chiens, en de multiples endroits.
Kukai prit lorsqu’il entra dans un l’état de méditation profondedit maitre ya, le nom de Kobo Daishi, et c’est ici qu’il vit et médite toujours, au bout d’un chemin long d’un peu plus de deux kilomètres, magnifique passage bordé de part et d’autre d’arbres tous plusieurs fois centenaires et de milliers de tombes – on en compte 200 000 au final pour ce qui est le plus important cimetière du Japon – dont certaines abritent les cendres de puissants, politiciens, entrepreneurs, guerriers… tous désireux de reposer à proximité du défunt moine. Par l’impression de beauté et de solennité qui s’en dégage, par son atmosphère aussi, qui se prête au songe, à l’introspection, le lieu justifierait à lui seul le long voyage. On y est comme hors du temps, transporté dans un ailleurs plein de quiétude, seul au monde ou presque. L’entrée se fait par le pont Ichinohashi, puis, deux kilomètres plus loin donc, arrive le Okunoin, littéralement « temple de l’extrémité », refuge éternel de Kobo Daishi depuis sa disparition en 835. Jour après jour depuis bientôt 1300 ans, celui-ci reçoit de ses fidèles des repas soigneusement préparés à base de riz, de bouillon au miso, de nouilles udon ou soba, de tofu ou encore de fruits – une cuisine végétarienne comme l’est celle servie dans les nombreux temples qu’héberge la montagne sacrée.
Sur les cent et quelques temples du mont Koya, près de la moitié accueille des visiteurs venus ici prier, méditer ou plus simplement passer un moment àpart, loin du quotidien. Si les chambres sont d’un confort simple et traditionnel, avec leurs tatamis et leurs portes coulissantes de bois et de papier de riz, les shoji, l’expérience, elle, n’a rien de commun. Au petit matin, accompagnant les premières lueurs de l’aurore, des coups de gong annoncent le début des cérémonies. Un bonze récite des sutras tandis que d’autres ponctuent sa lecture au son des taiko. Le moment est rare, de ceux qui restent longtemps après le retour. La cérémonie terminée, notre petit-déjeuner nous attend dans notre chambre, du riz bien sûr, du tofu, quelques légumes marinés, une soupe. Le bonheur peut loger aussi dans la simplicité. Il est bientôt temps de reprendre la route. Prochaine étape : le mont Yoshino, ses chemins sacrés et ses cerisiers par milliers.
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