Entre lac et montagne, voyage au mont Hiei, dans les hauteurs sacrées du Japon
Les 3 Monts Sacrés du Kansai #04
Je suis accroupi sur les tatamis, mes mains posées dans un équilibre instable à hauteur de mon bas-ventre dessinent comme une feuille d’arbre. Passé et futur ont disparu de mes pensées, ne restent que l’instant présent et le souffle de ma respiration. Debout derrière moi, le bonze me guide dans mon voyage immobile, ses paroles sonnent comme des confidences, entre murmure et récitation de sutra. Pour cette expérience du zazen et pour bien d’autres raisons, le mont Hiei nous aura marqués. Il y a son histoire, bien sûr, longue de plus de 1200 ans. Il y a aussi l’inoubliable vue sur le lac Biwa, offrant au regard la paix et le réconfort que les temples et la richesse de la végétation viennent apporter aux âmes. Depuis le mont Yoshino, après une courte escale à Kyoto – ou à la gare de Kyoto, pour être exact, monument tout en modernité de verre et d’acier de l’architecte Hiroshi Hara – c’est par la ligne Ishiyama Sakamoto de la compagnie Keihan que nous sommes arrivés jusqu’à la station Sakamoto-Hieizanguchi. Ni foule ni haut-parleurs ici, rien que le calme et la quiétude. Difficile de croire que la vibrante et bruyante Osaka n’est qu’à une soixantaine de kilomètres ! Outre ce silence, ce qui marque lorsqu’on arrive à Sakamoto, c’est l’omniprésence de la nature : la mer ou presque d’un côté avec le lac Biwa, plus grand du Japon par sa taille, 670 kilomètres carrés et une circonférence de 235 kilomètres, la montagne de l’autre, dense et insondable, la profondeur de ses couleurs, sa part de mystère.
À bien y réfléchir, elle est sans doute là, l’explication de cette attraction qu’a laissé sur nous le mont Hiei : dans cette rencontre de l’eau et de la montagne, du vert, du bleu et de toutes leurs innombrables nuances, tacheté ici et là de petites touches de brun, de gris asphalte, d’ocre : c’est ici la toiture d’une école, là une route, un jardin public. Une fois gravis les cinq cents mètres qui séparent Sakamoto du mont Hiei, 848 mètres d’altitude à son sommet, c’est le rouge-orange des torii et des temples qui s’imposent. Une ligne de funiculaire attend les moins sportifs. Longue de 2025 mètres, elle est réputée pour être la plus longue du pays. Nous sommes ici au royaume de l’Enryaku-ji, et le mot « royaume » n’est pas choisi par hasard tant l’influence des lieux a été grande dans l’histoire. Au point même en 1571 d’amener la destruction du temple par l’armée du très puissant daimyo Nobunaga Oda, celui-ci craignant l’influence et le pouvoir de ces moines-guerriers. Une tradition guerrière qui peut surprendre venant de moines. Elle trouve son explication dans l’histoire même de la fondation du temple Enryaku-ji, puisque celui-ci fut bâti pour protéger l’empereur et sa ville, Heian, l’ancienne Kyoto, contre les esprits du mal.
Étendu sur plus de 16 kilomètres carrés, l’Enryaku-ji est si vaste que la montagne et lui semblent presque ne faire qu’un. Outre le bâtiment principal, le Kompon Chudo – en travaux depuis 2016 et pour une dizaine d’années, il reste accessible au public et il est toujours possible par exemple d’y assister aux offices religieux – on compte au milieu des forêts de cèdres pas moins d’une centaine de constructions, réparties entre trois secteurs : Todo à l’est – c’est la partie la plus importante – Saito à l’ouest et Yokawa plus au nord. Au coeur de cet ensemble, l’Enryaku-ji Kaikan accueille religieux et voyageurs, venus ici le temps d’une nuit ou de plusieurs, pour se ressourcer, s’initier au zazen ou plus simplement profiter de la vue sur le lac Biwa. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1994, l’Enryaku-ji a été fondé en 788 par le moine Saicho, fondateur de l’école Tendai, une branche aujourd’hui encore très influente du bouddhisme japonais. Si les bâtiments ont été maintes fois reconstruits, la cause le plus souvent à des incendies, il est un vestige qui lui n’a pas bougé depuis la fondation du temple. Elle est là, au cœur du Kompon Chudo : la « lumière éternelle » que l’on trouve au pied de l’autel se consume dit-on depuis plus de 1200 ans. C’est avec le souvenir de cette flamme que nous partons rejoindre l’aéroport international du Kansai. Il est déjà temps de repartir. Mais le Japon est riche de quantité de trésors ; qui sait où nous emmènera notre prochain voyage.
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