Kuro Tanino, de la psychiatrie à la mise en scène

Dans deux pièces présentées à Paris en 2018, il a démontré sa capacité à analyser les rapports humains, héritée de son premier métier.

31.10.2018

TexteSolenn Cordroc'h

© Shinsuke Sugino

Dans le cadre du festival d’automne 2018 à Paris, Kuro Tanino, ancien psychiatre devenu metteur en scène, a pu investir le Théâtre de Gennevilliers pour deux pièces d’envergure, prenant pour décor une auberge de sources thermales pour l’une et un restaurant pour l’autre.

Avec son souci du détail et ses décors immersifs surprenants, Kuro Tanino manie un théâtre de premier abord réaliste, avant que les personnages hauts en couleur ne s’engouffrent dans un chemin sensuel, dérangeant, burlesque ou sulfureux.

 

Un usage remarquable du bruit et du silence

Du 20 au 24 septembre 2018, The Dark Master a ébloui les spectateurs en stimulant leurs sens ; la vue bien évidemment mais également l’odorat, avec des effluves du restaurant reconstitué sur scène. Dans ce restaurant justement, un jeune ramoneur se voit offrir la place du chef, qui disparaît mais observe son nouveau protégé en toute discrétion. Les clients habituels défilent, dont la prostituée favorite du précédent chef et un étrange personnage chinois, plus préoccupé par le potentiel économique du lieu que le contenu des assiettes.

Kuro Tanino évoque en filigrane la dépossession du patrimoine et les rapports de domination. Maniant aussi bien le bruit et le silence, cuisinant le spectateur par un début classique puis déroutant, le théâtre de Kuro Tanino révèle avec éclat l’essence même de notre société moderne et ses paradoxes.

 

Une critique de la société

Dans sa seconde pièce Avidya — L’Auberge de l’obscurité, qui s’est aussi tenue au Théâtre de Gennevilliers du 25 au 29 septembre 2018, deux citadins de Tokyo ont réveillé la quiétude des locataires d’une auberge perdue en campagne japonaise.

Déboussolés par cette arrivée, une vieille dame, deux geishas, un aveugle et un sansuke (homme qui s’occupe des bains, masse et coiffe les clients, également géniteur pour les femmes qui ne réussissaient pas à avoir d’enfant), expriment tour à tour leurs peurs et désirs de cette modernité qui contraste avec leur paisible tradition.

La trêve de quiétude est loin de prendre fin à l’annonce de la démolition de l’auberge pour faire place au Shinkansen : une allégorie brutale de l’expression « faire table rase du passé ».

 

The Dark Master (2018), une pièce mise en scène par Kuro Tanino dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de Gennevilliers, du 20 au 24 septembre 2018.

Avidya — L’Auberge de l’obscurité (2018), une pièce mise en scène par Kuro Tanino dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de Gennevilliers, du 25 au 29 septembre 2018.

© Takashi Horikawa

© Takashi Horikawa

© Takashi Horikawa

© Shinsuke Sugino

© Shinsuke Sugino