Le film japonais qui a inspiré “Orange Mécanique” à Stanley Kubrick

Le cinéaste américain emprunte l’esthétique de nombreuses scènes du film “Les funérailles des roses” de Toshio Matsumoto.

06.10.2020

TexteClémence Leleu

“Les funérailles des roses” © 1969 Postwar Japan Moving image archive © 2017 Arbelos Tous droits réservés

Stanley Kubrick signe en 1971 Orange mécanique, adaptation cinématographique du roman éponyme d’Anthony Burgess. Un film dystopique où le spectateur suit le quotidien d’Alex, un jeune homme obnubilé par la violence et la musique classique. Et où la mise en scène semble empruntée, à certains égards, au film de Toshio Matsumoto, Les funérailles des roses, sorti deux ans plus tôt.

Dans son premier long métrage, Toshio Matsumoto transporte les spectateurs dans le milieu LGBT tokyoïte des années 60, avec un casting essentiellement amateur, les acteurs ayant été recrutés dans des clubs underground. Il les met en scène dans un film mêlant fiction et extraits documentaires et où Eddie, personnage principal du film, réinterprète le mythe d’Oedipe, version queer. 

 

Violence, faux-cils et accélérations

De la mise en scène de ce film, Stanley Kubrick emprunte notamment les séquences filmées en plans fixes qui s’accélèrent en un instant, étourdies par une musique assourdissante. Comme ce moment où les héroïnes des Funérailles des roses doivent s’empresser de cacher leur drogue avant l’arrivée de la police. Le rythme du film s’intensifie, la tension se fait palpable. La musique colle à l’ambiance et le tempo palpite alors à son tour. On retrouve la même intensité lorsqu’Alex, sous la caméra de Kubrick, propose à deux femmes une partie fine et que le fil de l’histoire se précipite alors pour coller à la cadence enlevée de la musique de Rossini. 

Il est également possible de voir d’autres emprunts, comme les longs et hypnotiques faux cils d’Alex qui ne sont pas sans rappeler ceux de Eddie et de sa bande. Ou encore l’attrait de la violence pour les deux héros. Certains voient même, dans la scène d’ouverture d’Orange mécanique, où l’on voit Alex, deux yeux cousus aux poignets de sa chemise, le prolongement implicite de la scène de fin des Funérailles des roses où Eddie se crève les yeux. 

 

Esthétique culte et défrichage de sujets sociétaux

Stanley Kubrick ne serait pas le seul à avoir puisé son inspiration dans ce film de la Nouvelle Vague japonaise. Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma asiatique et ancien critique aux Cahiers du cinéma, précise dans Le dictionnaire du cinéma japonais en 101 cinéastes que le cinéaste Gus Van Sant pioche des références dans Les funérailles des roses : « Peu diffusé en Occident, Les funérailles des roses aura cependant une descendance secrète aussi bien dans Orange mécanique de Kubrick qui en reprend les accélérés musicaux que dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant qui transpose, dans un style tout aussi pop, Falstaff de Shakespeare chez les prostitués homosexuels de Portland ».

A la différence de Orange Mécanique, le film de Toshio Matsumoto marque par son engagement. Premier long-métrage à détailler le monde homosexuel japonais, il inclut des séquences documentaires sous forme de témoignages de transsexuels et homosexuels tokyoïtes. Le réalisateur s’est d’ailleurs inspiré du roman Notre-Dame des fleurs de Jean Genet, dont il emprunte le nom pour l’un des bars du film. Son acteur principal, Peter alias Shinnosuke Ikehata, s’identifie comme transsexuel et a été recruté dans un club gay. Il fera par la suite carrière dans le cinéma et on le retrouvera dans des productions majeures comme dans Ran d’Akira Kurosawa (1985). Preuve qu’à partir des années 1970, le cinéma japonais s’ouvre petit à petit à de nouveaux récits.

 

Les funérailles des roses (1969), un film réalisé par Toshio Matsumoto et réédité par Carlotta Films.

 

© Wikipédia

“Les funérailles des roses” © 1969 Postwar Japan Moving image archive © 2017 Arbelos Tous droits réservés

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“Les funérailles des roses” © 1969 Postwar Japan Moving image archive © 2017 Arbelos Tous droits réservés

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