Les vertus de la cérémonie du thé à l’ère du numérique
Dans un monde où chacun dispose d’un smartphone et d’une connexion internet qui lui permettent d’être connecté en permanence et où il devient difficile de fuir la distraction, l’art ancien de la cérémonie du thé japonaise se révèle sous un jour nouveau.
Longtemps considérée comme rigide et élitiste du fait de ses nombreuses règles qui représentent tout ce que les jeunes japonais trouvent d’étouffant dans leur société, elle revient depuis peu à la mode, y compris parmi la nouvelle génération.
Du religieux à l’informel
C’est ce qu’illustre le film Dans un jardin qu’on dirait éternel du réalisateur Tatsushi Omori, adapté de l’autobiographie de Noriko Morishita. On y voit Noriko, alors étudiante, chercher à occuper son temps libre et se tourner vers la cérémonie du thé à la suggestion de sa mère. Elle suit alors les cours de Madame Takeda (interprétée par l’actrice populaire Kirin Kiki, dont c’est la dernière apparition à l’écran car elle s’est éteinte en septembre 2018) et oublie ses réticences initiales pour se laisser emporter par la temporalité de la cérémonie du thé.
Le cha-no-yu, son autre nom qui signifie littéralement « l’eau chaude du thé », est ancré dans la culture japonaise depuis son émergence avec la propagation du bouddhisme zen au IXème siècle. Issue de la religion, cette cérémonie centrée sur le thé matcha n’a pas toujours été synonyme de rituel ou porté un caractère sacré. Au contraire, au XIIIème siècle, lorsque le cha-no-yu est adopté par la caste des guerriers, il s’agissait avant tout de partager un moment entre amis. Un seigneur organise même une cérémonie du thé qui durera près de dix jours, comme une grande fête.
Ce sont ces excès qui amènent certains seigneurs à encadrer la pratique du cha-no-yu et à lui donner la forme qu’on lui connait. Celle qu’a codifiée Sen-no-Rikyu (1520-1591), le maître du thé le plus célèbre du Japon, dont la lignée a formé par la suite les trois courants de pratique du cha-no-yu qui perdurent aujourd’hui et que sont les familles Omotesenke, Urasenke et Mushanokoji-senke. Pour en savoir plus sur les codes de la cérémonie du thé et les nombreux instruments nécessaires à son accomplissement, Kakuzo Okakura les a compilés dans Le livre du thé paru en anglais en 1906 et qui fait autorité depuis sur le sujet.
Une approche esthétique avant tout
Mais l’essence de la cérémonie du thé se trouve au-delà des règles. Les historiens Danielle et Vadim Elisseeff écrivent dans leur ouvrage La civilisation japonaise : « Le cha-no-yu consiste à goûter ensemble les joies d’une calme contemplation et de l’appréciation des produits d’un art raffiné. Le cadre, les objets usuels, les gestes de celui qui prépare le thé doivent concourir à transporter les participants loin des difficultés de ce monde et à les élever aux pures joies de la contemplation esthétique ».
Une joie que l’on retrouve dans le film Dans un jardin qu’on dirait éternel où prédominent les bruits de la nature, l’eau qui coule ou le bruissement des feuilles, sans fond sonore pour nous distraire. Sa sobriété et sa retenue permettent de contempler la narration dénuée d’action spectaculaire mais où les gestes précis, maints fois répétés de la cérémonie du thé incitent à ralentir, se déconnecter et relativiser.
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