Le jour où l’Empereur est devenu un Japonais comme les autres
Dans la série “Sunday At Hirohito's”, l’artiste Meiro Koizumi illustre la manière dont l’image peut manipuler la psychologie collective.
© Meiro Koizumi
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le peuple japonais n’avait que très rarement eu l’occasion de voir son Empereur. À la fin du conflit, après la victoire des Américains, ces derniers ont amené Hirohito à s’exhiber — un événement documenté par le magazine LIFE dans une série intitulée Sunday at Hirohito’s. Cette manière de présenter le monarque en train de déambuler parmi le peuple est le point de départ du travail de l’artiste Meiro Koizumi, poussé par un « désir d’iconoclasme » comme il le confie à Pen.
Passé par le Chelsea College of Art and Design de Londres et à la Rijksakademie of Visual Arts d’Amsterdam, Meiro Koizumi est membre fondateur de l’Artist’s Guild, un groupe d’artistes portant des projets expérimentaux.
Prendre conscience de sa relation au pouvoir
Dans son travail, l’artiste associe regard critique et conscience historique et collective, en abordant à travers l’image les points sensibles de la culture et de la mémoire collective japonaise. Meiro Koizumi s’intéresse ainsi à l’influence du regard, de la visibilité, sur l’image et le statut d’un individu.
À partir des premières photographies montrant l’Empereur dans des postures, contextes et environnements informels, en balade familiale notamment, l’artiste interroge ce moment de bascule, où celui qui était considéré au-dessus des Hommes, tel un dieu, descend de son piédestal pour devenir au regard du public un citoyen ordinaire. La série Sunday at Hirohito’s (2012) amène Meiro Koizumi à développer ce concept en allant plus loin, avec des images anatomiques « collées » sur la silhouette de l’empereur.
Pour mesurer l’impact concret de cet événement, et de ses photomontages, Meiro Koizumi s’appuie sur la réaction de son propre père. « C’est un chrétien strict, et pour les gens de sa génération, c’est synonyme de libéralisme, c’est-à-dire être plus ou moins anti-tradition, anti-establishment et anti-empereur ; depuis que je suis enfant je l’entends critiquer l’Empereur et la famille royale. Il n’a donc jamais donc considéré l’Empereur comme quelqu’un de sacré, mais comme une personne comme une autre. »
Pourtant, cette vision, cette relation à ce pouvoir cache quelque chose de moins conscient, ancré dans l’imaginaire collectif, une forme de sensibilité face à la représentation. « Quand il m’a vu “jouer” avec l’image de l’Empereur, il s’est senti blessé, mais a dans un premier temps été mal mal à l’aise face à sa propre réaction. Il découvrait qu’inconsciemment il acceptait et aimait l’Empereur depuis toutes ces années. Ce système impérial opère dans l’inconscient des gens, se faufile en vous, que vous le vouliez ou non. C’est là que se trouve le danger du nationalisme », poursuit l’artiste. Un appel à l’éveil des consciences, meilleur garant de la démocratie.
Pour accompagner la série, Meiro Koizumi a publié ces quelques lignes.
Toute sa vie, il a rejeté l’Empereur.
Toute sa vie, il a cru au Dieu chrétien.
Toute sa vie, il a cru que le Dieu chrétien était le seul Dieu.
Pourtant, à 76 ans, il retrouve l’Empereur en lui…
Le désir d’une plus grande transparence du pouvoir pourrait en réalité passer par des élites en forme de miroir, dans lesquelles le citoyen se reconnaîtrait.
Pour découvrir un autre aspect du travail de l’artiste, il a réalisé en 2021 une œuvre sonore intitulée AntiDream #2 Torch Ritual Edit, traitant du rejet des Japonais face aux Jeux Olympiques de Tokyo.
Le travail de l’artiste est à retrouver sur son site internet, ainsi que sur le site internet de l’Annet Gelink gallery, qui le représente.
© Meiro Koizumi
© Meiro Koizumi
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